Outlook 2024 : Interview avec Stijn Baert

17 avril 2024

Stijn Baert, économiste et professeur d’économie du travail à l’université de Gand, est connu pour ses recherches sur des sujets tels que la politique du marché du travail, le chômage et la relation entre l’éducation et le marché du travail. Il était l’un des intervenants lors de notre événement outlook , où j’ai pu lui poser quelques questions.

Aujourd’hui, le marché du travail est beaucoup plus tendu que dans les années 1980. Pourquoi cette pénurie varie-t-elle dans le temps? Est-ce lié au cycle économique ou à des questions structurelles telles que la démographie, la numérisation, la prospérité et la mobilité?

« Ces fluctuations sont principalement liées à des tendances à long terme. Dans les années 80, les entreprises avaient beaucoup de choix et les employés devaient presque se battre pour obtenir un emploi. Aujourd’hui, la tendance est inversée dans de nombreux secteurs, principalement en raison du vieillissement de la population. Pour 100 personnes quittant le marché du travail, 80 seulement les remplaceront. Pour compenser ce déficit structurel, les politiques devraient encourager les gens à travailler plus longtemps. »

En Belgique, et plus particulièrement en Flandre, la pénurie de main-d’œuvre est très marquée. Par rapport à d’autres régions, le rapport entre les postes vacants et les demandeurs d’emploi est très élevé. Cela signifie-t-il que l’économie flamande connaît une croissance plus forte ou que les demandeurs d’emploi flamands sont plutôt paresseux?

« Tout d’abord, je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas d’un problème typiquement flamand: la pénurie sur le marché du travail se fait également sentir à Bruxelles et en Wallonie. Je trouve la formulation ‘plutôt paresseux’ très forte, car il arrive qu’un demandeur d’emploi ne soit tout simplement pas apte à occuper un poste vacant. Mais certains ne voient en effet pas l’intérêt de faire un travail spécifique, tandis que d’autres n’ont pas envie de se former. Cela nécessite des ajustements politiques. D’une part, le gouvernement doit rendre le travail plus attrayant. Prenons l’exemple des chômeurs peu qualifiés. S’ils travaillent, ils ne verront leur revenu augmenter que d’environ 7%, tout en ajoutant différents frais tels que la garde d’enfants. Pour eux, il est plus intéressant de ne pas travailler que de travailler. En outre, 18 à 19% des Flamands sont inactifs, ce qui représente près d’une personne sur cinq parmi les 25-64 ans. Il est donc évident que l’étang dans lequel les employeurs doivent pêcher est très petit. »

Qui sont ces personnes?

« il s’agit principalement d’hommes et de femmes au foyer, de malades de longue durée et - très souvent - de chômeurs découragés, qui ont cherché un emploi, mais ont abandonné. Il y a également un grand nombre de personnes qui prennent une retraite anticipée. Ils devraient être suffisamment encouragés à rester au travail plus longtemps. »

Vous faites toujours référence aux politiques et jamais aux mécanismes naturels. Je pense à l’autorégulation: une meilleure rémunération pour les professions sujettes à la pénurie ne pourrait-elle pas entraîner un afflux plus important de travailleurs?

« Je ne peux pas vraiment me prononcer à ce sujet, parce que mes recherches portent principalement sur les questions politiques et les recommandations qui en découlent. Mais il est vrai que le marché s’autorégule en partie. Les professions en pénurie tiennent généralement compte du niveau d’éducation, les salaires étant plus élevés que ceux des professions sans pénurie.  Toutefois, ces mécanismes naturels de concurrence ne fonctionnent pas toujours. Tout d’abord, les gens ne s’intéressent pas seulement à la rémunération. En effet, notre étude a montré que les Flamands accordent de l’importance à quatre aspects de leur carrière: le salaire, le contenu du travail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et la sécurité de l’emploi

Il s’agit peut-être d’une question éthiquement incorrecte, mais ne pouvons-nous pas exiger des demandeurs d’emploi qu’ils occupent les professions en pénurie?

« Vous pouvez certainement poser cette question. Notre étude montre que le gouvernement doit mieux guider les demandeurs d’emploi afin que leur recherche d’emploi devienne moins aléatoire. Cette mesure bénéficie d’un large soutien, notamment l’idée d’un travail d’intérêt général obligatoire et d’une formation pour les demandeurs d’emploi. Au sein du groupe des demandeurs d’emploi, il convient de faire la distinction entre le chômage de courte durée et le chômage de longue durée. Le premier groupe est moins problématique, car ces personnes sont déjà à la recherche d’un emploi. Le véritable problème réside dans le chômage de longue durée, car il s’agit d’un processus qui s’auto-renforce. Les chômeurs se démotivent et sont jugés différemment par les employeurs, ce qui aggrave la situation. Il est essentiel de remettre les gens au travail assez rapidement, mais nous n’y parvenons pas. Cela nécessite une réforme des allocations de chômage, où certaines mesures peuvent faire en sorte que les gens se sentent clairement incités à chercher un emploi après trois ou six mois. »

Je vous ai entendu dire que 44% des immigrés sont inactifs. Comment expliquez-vous cela?

« Il s’agit d’une question complexe sur laquelle les avis divergent. Selon moi, cela s’explique par trois facteurs. Premièrement, les personnes issues de l’immigration ont tendance à être moins formées. Ce qui joue également un rôle, ce sont les choix que les gens font en fonction de leur niveau d’éducation. Par exemple, il semble que les filles des familles turques et marocaines soient moins incitées à étudier et à entrer sur le marché du travail. Le troisième facteur est la discrimination sur le marché du travail, qui semble heureusement diminuer. Il est difficile de dire quelle est la raison principale, mais il ne fait aucun doute que des mesures politiques s’imposent pour ces trois raisons. Je pense à une adaptation de la sécurité sociale, car le fait de ne pas travailler ne devrait pas être plus intéressant financièrement pour certains que le fait de travailler. En ce qui concerne la politique migratoire, je peux citer un pays comme le Danemark: les gens y viennent principalement pour travailler et éventuellement pour étudier. Chez nous, beaucoup plus de personnes arrivent avec le statut de réfugié ou pour le regroupement familial, et elles sont donc moins susceptibles d’entrer sur le marché du travail. »

Que pensez-vous de la proposition du ministre Paul Magnette (PS) sur la semaine de 32 heures?

« Ce que je conteste dans cette proposition, c’est que le ministre préconise le maintien des salaires. Cela se traduit par une augmentation des coûts pour les entreprises, qu’elles répercuteront sur leurs prix. Cela pourrait affaiblir leur compétitivité internationale, les contraindre à réduire - voire à fermer - leurs activités et provoquer des pertes d’emploi. D’un autre côté, je comprends qu’à un moment donné, les gens veuillent travailler moins et plus longtemps à terme. Mais je ne suis pas convaincu que l’employeur doive payer pour cela. Comme le dit le proverbe « on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre, et le cul de la laitière ». On ne peut pas tout avoir, il faut faire des choix. »

Cela ne vous démange jamais de vous lancer vous-même dans la politique et de contribuer à sa mise en œuvre?

« La politique intérieure est l’une de mes plus grandes passions, au même titre que le football national. Je préfère regarder cela depuis la ligne de touche, sans y participer moi-même. Par ailleurs, je suis un « électeur indécis »: mon vote peut aller dans un sens ou dans l’autre. J’ai voté pour Groen et la N-VA dans le passé, et tout ce qui se trouve entre les deux. »

Lisez ici le DLJ complet d'avril 2024.

 

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